Démystifier la règlementation sur les placements privés
Par Serge Fecteau, président du conseil de Fecteau Côté Manocchio
Introduction
Au Canada, la règlementation sur les valeurs mobilières exige qu’une personne qui sollicite des fonds auprès du public dépose un prospectus décrivant l’émetteur ainsi que les titres qu’il propose d’émettre et que ces titres soient vendus par des personnes inscrites. Ce processus est long et coûteux et ne convient pas à plusieurs entreprises de plus petite taille qui ont des besoins de financement ne pouvant justifier de tels coûts.
Afin de permettre l’accès au marché des capitaux, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont établi une règlementation complexe permettant d’émettre des titres sans l’établissement de prospectus. Ces règles sont contenues dans le Règlement 45-106 sur les dispenses de prospectus. Les dispenses sont nombreuses et couvrent une panoplie de situations possibles.
Investisseurs individuels
De façon générale, les titres bénéficiant d’une dispense de prospectus peuvent être vendus à des investisseurs qualifiés. Voici donc les principaux tests définissant un investisseur qualifié au niveau individuel:
(i) une personne physique qui, à elle seule ou avec son conjoint, a la propriété véritable d’actifs financiers ayant une valeur de réalisation globale avant impôt de plus de 1 000 000 $.
(ii) une personne physique qui, dans chacune des 2 dernières années civiles, a eu un revenu net avant impôt de plus de 200 000 $ ou, avec son conjoint, de plus de 300 000 $ et qui, dans l’un ou l’autre cas, s’attend raisonnablement à excéder ce revenu net dans l’année civile en cours.
(iii) une personne physique qui, à elle seule ou avec son conjoint, a un actif net d’au moins 5 000 000 $.
Si l’un de ces tests est rencontré, la personne se qualifie pour investir sans que l’émetteur ait à lui produire un prospectus, car l’on considère qu’il ou elle a des ressources financières lui permettant de prendre des risques plus importants.
Le test d’actifs financiers énoncé en (i) est un terme défini qui essentiellement comprend principalement les liquidités détenues dans les comptes bancaires, les certificats de dépôt, les obligations d’épargne, les actions, les titres qui peuvent être rapidement convertis en argent et finalement les valeurs de rachat de police d’assurance. Il est important de savoir que les REER et les FEER détenus par des particuliers sont admissibles, mais que les fonds de pension d’employeurs privés ne le sont pas.
De plus, il est important de savoir que les actifs mobiliers ou immobiliers comme une résidence ou des logements locatifs ne constituent pas des actifs financiers pour le test du 1 000 000 $ en (i). Toutefois, on peut en tenir compte pour le dernier test en (iii) du 5 000 000 $.
Investisseurs corporatifs
Dans le monde d’aujourd’hui, une grande partie des entrepreneurs et des professionnels qui peuvent envisager d'investir dans des placements privés sont organisés avec des sociétés de gestion (holding) dans lesquelles sont constituées une bonne partie de leurs épargnes. Les règles de dispense de prospectus sont différentes et ne s’appliquent pas nécessairement de la même façon.
Voici donc les tests applicables aux sociétés qui sont ci-après définies comme une “personne” :
(i) une personne, à l’exception d’une personne physique ou d’un fonds d’investissement, qui a un actif net d’au moins 5 000 000 $.
(ii) une personne à l’égard de laquelle tous ceux qui ont la propriété de droits, directe, indirecte ou véritable, à l’exception des titres comportant droit de vote que les administrateurs sont tenus de détenir en vertu de la loi, sont des investisseurs qualifiés.
(iii) Investissement d’une somme minimale. L’obligation de prospectus ne s’applique pas à un placement de titres auprès d’une personne lorsque les conditions suivantes sont réunies:
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la personne n’est pas une personne physique.
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elle acquiert les titres pour son propre compte.
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les titres ont un coût d’acquisition pour la personne d’au moins 150 000 $ payé comptant au moment du placement.
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les titres placés sont ceux d’un seul émetteur.
Ne s’applique pas au placement de titres effectué auprès d’une personne créée ou dont on se sert uniquement pour souscrire ou détenir des titres sous le régime de la dispense de prospectus.
Le premier test en (i) ci-dessus s’applique donc à des sociétés dont la valeur nette (actifs – passifs) excède 5 000 000 $ sans tenir compte des avoirs personnels des actionnaires.
Franchement, on doit dire que le deuxième test en (ii) tel qu’il est écrit est incompréhensible pour le commun des mortels! En réalité, cela veut dire, dans la majorité des cas d’espèce, que pour se qualifier, tous les actionnaires d’une société doivent être des investisseurs qualifiés (voir les tests des investisseurs individuels).
La motivation de l’Autorité des marchés financiers est de vouloir protéger des actionnaires minoritaires en exigeant que la totalité des investisseurs soit qualifiée, mais on doit aussi réaliser que cela a pour effet d’empêcher un actionnaire majoritaire d’investir dans un placement privé avec les fonds de la société qu’il contrôle. On doit donc se rabattre sur le test du 5 000 000 $ ou de l’investissement d’une somme minimale pour se qualifier.
Pour l’application du dernier test en (iii), une société doit investir un montant au comptant d’au moins 150 000 $ dans un seul émetteur (cette dispense ne s’applique pas à une personne physique)
Fiducie familiale
Pour ce type d’investisseur, le test de dispense est le suivant :
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une fiducie créée par un investisseur qualifié au profit de parents, dont la majorité des fiduciaires sont investisseurs qualifiés, et l’ensemble des bénéficiaires les conjoint, ancien conjoint, père et mère, grands-parents, frères, sœurs, enfants ou petits-enfants de l’investisseur qualifié, de son conjoint ou de son ancien conjoint.
Dans la plupart des cas, la dispense est disponible à la fiducie familiale si la majorité des fiduciaires ayant l’autorité de gérer la fiducie sont des investisseurs qualifiés (voir les tests des investisseurs individuels) et que les bénéficiaires sont des membres de la même famille.
Fonds d’investissement
Le test de dispense est fort simple :
(i) un fonds d’investissement qui est conseillé par un conseiller inscrit ou une personne dispensée d’inscription à titre de conseiller
Le terme de conseiller signifie ici un gestionnaire de portefeuille inscrit auprès des Autorités canadiennes en valeurs mobilières et non pas un conseiller en placement ou un courtier en valeurs mobilières. Dans ce cas-ci, on accepte la discrétion d’investir du conseiller, car les personnes et les firmes inscrites à ce titre sont sujettes à de nombreuses règles de conformité et ont un rôle fiduciaire auprès de leurs clients.
Émetteur fermé
Un émetteur fermé est généralement une société dont les statuts prévoient des restrictions sur le transfert des titres et dont le nombre de propriétaires véritables (tous les actionnaires directs et indirects) est d’au plus 50 personnes.
Les dispenses de prospectus applicables à ce type d’émetteur sont quelque peu différentes de celles des sociétés ouvertes.
L’obligation de prospectus ne s’applique pas au placement de titres d’un émetteur fermé auprès d’un acquéreur qui acquiert les titres pour son propre compte et qui fait partie de l’une des catégories suivantes :
(a) les dirigeants, administrateurs, salariés ou fondateurs de l’émetteur ou les personnes participant au contrôle de celui-ci.
(b) les dirigeants, administrateurs ou salariés d’une société du même groupe que l’émetteur
(c) les conjoint, père et mère, grands-parents, frères, sœurs, enfants ou petits-enfants des administrateurs, membres de la haute direction, fondateurs ou personnes participant au contrôle de l’émetteur;
(d) les père et mère, grands-parents, frères, sœurs, enfants ou petits-enfants du conjoint des administrateurs, membres de la haute direction, fondateurs ou personnes participant au contrôle de l’émetteur;
(e) les amis très proches des administrateurs, membres de la haute direction, fondateurs ou personnes participant au contrôle de l’émetteur
(f) les proches partenaires des administrateurs, membres de la haute direction, fondateurs ou personnes participant au contrôle de l’émetteur;
(g) Les conjoints, pères et mères, grands-parents, frères, sœurs, enfants ou petits-enfants du porteur vendeur ou du conjoint de celui-ci
(h) les porteurs de l’émetteur
(i) les investisseurs qualifiés
(j) une personne dont les titres comportant droit de vote sont en majorité la propriété véritable de personnes visées aux sous-paragraphes (a) à (i) ou dont les administrateurs sont en majorité des personnes visées aux sous-paragraphes (a) à (i)
(k) une fiducie ou une succession dont tous les bénéficiaires ou une majorité des fiduciaires ou des liquidateurs sont des personnes visées aux sous-paragraphes (a) à (i)
(l) une personne qui n’est pas du public.
En résumé de ce qui précède, les émetteurs fermés peuvent naturellement placer des titres auprès des membres de leur famille, de leurs dirigeants et de leurs détenteurs actuels.
Ces émetteurs peuvent également placer leurs titres auprès d’amis très proches ainsi qu’auprès de partenaires d’affaires. Ces tests sont basés sur la réalité objective et doivent être appuyés de preuves probantes pour s’appliquer.
Finalement, l’émetteur fermé peut vendre des titres à des investisseurs qualifiés individuels (voir les tests des investisseurs individuels) et auprès de sociétés de gestion (holding) dont la majorité des votes sont détenus par des investisseurs qualifiés. Ce dernier point diffère d’un émetteur n’ayant pas le statut d’émetteur fermé, car le test s’applique à la majorité des votes au lieu de la totalité des actionnaires comme on a vu précédemment.
Notice d’offre
Une Notice d’offre est un document qui peut s’apparenter à un prospectus et dont le contenu est règlementé, mais ne sera pas revue par l’ Autorité des marchés financiers avant le placement comme c’est le cas lors d’une offre faite par voie de prospectus. Tout comme dans le cas d’un prospectus, l’investisseur bénéficiera de l’attestation sur le caractère complet et véridique de la divulgation faite par les dirigeants et aura un délai de 48 heures suivant son achat pour annuler la transaction.
Les titres transigés en bourse issue d’un placement par voie de Notice d’offre comportent des restrictions de revente de 4 mois et un jour comme c’est le cas pour les autres placements privés conventionnels. Il est à noter que si les titres ne sont pas inscrits sur une bourse, la restriction de revente devient permanente et le détenteur ne pourra en disposer qu’en vertu d’un autre placement privé.
L’investisseur qui achète des titres par voie de Notice d’offre bénéficie d’un encadrement législatif qui prévoit un droit d’action contractuel en nullité ou en dommages-intérêts contre l’émetteur ce qui n’est pas le cas pour un placement privé conventionnel.
Dans le cadre d’une offre par Notice d’offre, il existe diverses catégories d’investisseurs admissibles, notamment la personne qui a et a eu dans les années précédentes un revenu ou un bénéfice net avant impôt de 75 000 $ et plus ou qui possède un actif net égal ou supérieur à 400 000 $, soit des seuils qui sont plus bas que dans un placement privé traditionnel.
Il faut dire que le régime de Notice d’offre n’est pas très populaire auprès des émetteurs, car elle comporte de nombreuses obligations, est beaucoup plus dispendieuse qu’un placement privé conventionnel et n’offre pas d’avantages significatifs à ces derniers.
Sollicitation d’investisseurs
Dans notre système règlementaire, un émetteur ne peut pas faire lui-même une sollicitation étendue pour lever des fonds auprès d’investisseurs potentiels à moins de le faire auprès d’un nombre restreint de personnes sans faire de démarches importantes et de ne pas rémunérer des intermédiaires non-inscrits pour le faire.
Au Québec, l’Autorité des marchés financiers considère que les personnes qui sollicitent les investisseurs potentiels dans le cadre d’une levée de fonds doivent être des personnes inscrites supervisées par des firmes inscrites et qui sont sujettes à un cadre de règlementation et de conformité strictement établie.
Les courtiers sur le marché dispensé peuvent agir pour la sollicitation d’investisseurs à l’égard des titres émis dans le cadre d’un placement privé. On s’attend à ce que dans le cadre de son travail, le représentant du courtier inscrit s’assure que l’investisseur se qualifie pour une dispense de prospectus et que l’investissement proposé est convenable pour lui ou pour elle.
Afin de s’assurer de la convenance, le représentant a le devoir de connaître son produit ainsi que les caractéristiques intrinsèques des titres offerts. Le représentant doit également connaître son client au niveau de ses actifs, ses objectifs de placement et sa tolérance au risque pour faire l’adéquation entre les deux.
Conclusion
Lorsqu’un émetteur envisage lever des capitaux auprès d’investisseurs pour réaliser un projet, faire une expansion ou faire une acquisition, il devra respecter une règlementation complexe et aura tout avantage à retenir les services de professionnels compétents pour s’assurer que son placement est fait en toute légalité.
Beaucoup d’entrepreneurs ne sont tout simplement pas conscients des problèmes et des risques importants qu’ils prennent à tenter d’effectuer le travail eux-mêmes. Un courtier sur le marché dispensé sera capable de guider l’émetteur dans sa démarche de levé de fonds en plus de lui offrir l’accès à un réseau d’investisseurs élargi qui recherche des opportunités d’investir correspondant leurs besoins.
Références : Autorité des marchés financiers, Règlement 45-106 sur les dispenses de prospectus (V-1.1, r. 21); Autorité des marchés financiers, Règlement 31-103 (V-1.1, r. 10) - Obligations et dispenses d'inscription et les obligations continues des personnes inscrites.